En 1981, alors que le Brésil est sous le joug de la dictature militaire de João Figueiredo, le club de Corinthians s’érige en figure de proue du mouvement de résistance face à la puissance étatique.
Genèse, football et dictature
31 mars 1964. Commandant de la IVe région militaire à Minas Gerais et membre du parti fasciste de l’Action intégraliste, le général Olímpio Mourão Filho, accompagné de ses troupes, marche sur Rio de Janeiro. Soutenu par la CIA, le coup d’État militaire permet ainsi le renversement de João Goulart, alors président démocratiquement élu, sur qui est rejeté la responsabilité de l’hyperinflation et que l’on accuse d’entretenir des liens étroits avec la politique communiste.
Successeur de Humberto Castelo Branco (1965-1968) à la présidence de la nommée République des États-Unis du Brésil, Golbery do Couto e Silva – considéré comme la tête pensante du régime militaire – fait promulguer l’Acte institutionnel n°5 entérinant la dissolution du Congrès, suspendant la Constitution de 1946, imposant la censure et légitimant une police politique. Parties intégrantes de la société brésilienne, les footballeurs n’échappent pas au joug militaire et vivent dans des conditions précaires, utilisés par le gouvernement comme une monnaie d’échange pour conserver la paix sociale.
En ces temps incertains, seuls quelques privilégiés, les stars du championnat, bénéficient d’un traitement de faveur. Une réalité admise par le « Docteur » Sócrates à l’occasion d’une émission télévisée : « Quatre-vingt-dix pour cent des joueurs ont une condition de vie inhumaine. Soixante-dix pour cent gagnent moins que le salaire minimal. Si les joueurs l’acceptent, [les dirigeants] sont paternalistes. Sinon, ils sont autoritaires. »
Lutte interne pour retentissement externe
En novembre 1981, alors que les manifestations contre la dictature fleurissent dans la province Pauliste, le Sport Club Corinthians végète en deuxième division brésilienne. C’est à cette période que Waldemar Pires, président des Noir et Blanc, désigne le nouveau directeur sportif du club en la personne d’Adilson Monteiro Alves. À 35 ans, le natif de São Paulo est un sociologue qui, durant sa jeunesse, s’était érigé en figure des mobilisations étudiantes contre le régime militaire en place dans les années 1970. À son arrivée au club, il déclare d’ailleurs : « Les joueurs sont traités comme des esclaves. Le modèle autoritaire est remis en question dans tout le pays, il doit l’être aussi dans le foot. ».
Le soir même de sa nomination, il rejoint les joueurs et leur fait part de son idée : « Le pays lutte pour se démocratiser. Même quand il va y parvenir, le foot tardera à en faire autant […] Nous, on va dialoguer. Dites-moi ce qui ne va pas, prenez vos destinées en main, ayez conscience que vous pouvez commander, nous déciderons tous ensemble. ». Derrière les paroles de Monteiro Alves, la mise en place d’un système démocratique au sein du Corinthians prend de l’ampleur. Il propose ainsi aux joueurs que l’ensemble du personnel du club, des joueurs aux jardiniers en passant par les membres du staff médical, possède désormais une voix unique et que chaque décision soit prise à la suite d’un vote.
La première mesure de ce nouveau mode de fonctionnement est retentissante puisqu’elle consiste en la redistribution des recettes de billetterie, de sponsoring ou encore de droits télévisés à l’ensemble des employés. Bien que ce tournant historique inédit soit initialement plus ou moins bien intégré par toutes les parties concernées, il le devient de plus en plus au fur et à mesure des semaines. Ainsi, toutes les décisions sont prises de manière démocratique : recrutement, abolition des mises au vert, organisation des déplacements… Véritable symbole de cette idée novatrice, Zé Maria, champion du monde 1970 et joueur des Corinthians, en devient également l’entraîneur.
En 1982, alors que le régime en place commence à s’essouffler, un nouveau gouverneur est démocratiquement élu dans la province de São Paulo, une première depuis le début de la junte de 1964. Une opportunité dont s’empare immédiatement le club Pauliste, ses joueurs entrant sur la pelouse vêtus de maillots arborant la mention « Dia 15 vote » (« Votez le 15 »). Un an plus tard, qualifiée en finale du championnat de São Paulo face au São Paulo FC, club historiquement proche de la bourgeoisie, l’équipe entraînée par Zé Maria pénètre sur la pelouse en déployant une banderole sur laquelle figure l’inscription : « Ganhar ou perder, mais sempre com Democracia » (« Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie »). L’Histoire s’écrit.
Sócrates, le football politique
Figure de proue du néo-mouvement politique qui secoue le club Corinthian, meneur de jeu du Brésil 82 et véritable épicurien, Sócrates est sans conteste l’une des personnalités les plus impliquées dans le combat contre la dictature de son pays (lire notre article : Socrates le révolutionnaire du football brésilien). Meneur de jeu et d’idées, le « Docteur » (surnom qui fait référence à son diplôme de médecine) est engagé. En 1984, il rejoint le mouvement Diretas Já favorable à l’organisation d’élections présidentielles au suffrage universel. Alors que d’insistantes rumeurs l’envoient en Italie, Sócrates se rend sur la scène d’une manifestation tenue dans les rues de São Paulo et déclare : « [Si l’amendement est approuvé,] Je ne quitterai pas le pays! ». Malgré toute son influence, les élections présidentielles n’ont pas lieu et le natif de Belém rejoint la Fiorentina.
Véritable leader du mouvement de son club, il en dira d’ailleurs : « Nous voulions dépasser notre condition de simples joueurs travailleurs pour participer pleinement à la stratégie d’ensemble du club. Cela nous a amenés à revoir les rapports joueurs-dirigeants. Les points d’intérêt collectif étaient soumis à la délibération. ».